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Les effets du degré d'alcool (entry proof) sur la maturation du whisky

 

Un certain nombre d'amateurs de whisky connaissent les bases légales (définitions) pour le Scotch Whisky, c'est-à-dire, une distillation en Ecosse à moins de 94.8 %, une maturation minimale de 3 ans et d'une teneur en alcool d'au minimum de 40% à l'embouteillage.

 

Comme mentionné dans la plupart des ouvrages ou lors d'une visite de distillerie, le distillat sortant des alambique est réduit à 63.5% par adjonction d'eau distillée (ou dans quelques cas, eau de source), avant de remplir le fût.  Une grande majorité d'amateurs pensent que ces 63.5% sont liés à une base légale. Ce n'est pas le cas, et n'importe quelle distillerie peut remplir le fût à la force alcoolique de son choix. Cependant, des régulations locales sur les produits explosifs limitent la force à 70 ou 80%.

 

Pourquoi 63.5%

Si un whisky est mis en bouteille à la force standard (40-46%), pourquoi vouloir réduire le whisky une fois avant la mise en fût et une seconde fois lors de l'embouteillage? Ne serait-il pas plus simple de réduire le whisky seulement lors de l'embouteillage? Cela réduirait le travail et le nombre de fûts nécessaires pour la maturation.

 

Lorsque vous posez cette question à un manager d'une distillerie ou d'une personne de l'industrie, la réponse la plus courante est "Je ne sais pas" ou "on a toujours fait comme cela".

 

A la lecture de livres sur le whisky écrits dans les années 1970 ou précédentes (p. ex. Scotch Whisky de D. Daiches ou Scotch par Sir R.B. Lockhart), cette information n'est jamais mentionnée. En plongeant dans la littérature scientifique, j'ai trouvé un article fort intéressant " “Chemical Mechanisms of Whiskey Maturation” published in 1981 (vol. 32, N° 4, p.283-289) publié dans la revue "American Journal of Enology and Viticulture" par George H. Reazin. L'auteur est un chimiste travaillant pour Seagram (propriétaire du groupe Chivas et des distilleries associées (p. ex. The Glenlivet)". Cette publication décrit les réactions chimiques pendant la maturation, l'effet des différents fûts (nombre de remplissage, toastage et charring) ainsi que les effets du degré d'alcool sur la maturation du whisky.

(Note: 1 degré proof US correspond à 0.5% d'alcool, p. ex. 100 proof US = 50% abv. A ne pas confondre avec le proof UK).

 

Comme illustré en figure 1 (copiée de l'article de Reazin), la formation des congénères (composés chimiques source des odeurs et arômes du whisky, p. ex., tannins, acides volatiles) décroissent lorsque le volume de remplissage dépasse 120 Proof (60%). Avec un remplissage à 63.5%,  la force est supérieure au % optimal et des effets sur le taux de formation des les tannins, les acides volatiles et solides, et les aldéhydes peuvent prendre place. De plus, comme illustré sur la figure 2, la formation de sucres est fortement affecté par le degré d'alcool.

 

Pourquoi le degré d'alcool au remplissage affecte la maturation?

 

Le whisky n'est pas un alcool purifié (rectifié) comme la Vodka ou autres alcools blancs. Il est produit à partir d'orge maltée et distillé 2-3 fois dans des alambiques en cuivre, avec le taux d'alcool variant entre généralement entre 65 et 72% à la sortie. Par conséquent, le whisky est un produit sale d'un point de vue chimique contenant une grande diversité de composés chimiques (plus de 400). La maturation prend place dans des fûts en bois, ayant préalablement contenu une autre boisson alcoolique (p. ex., sherry, vin, Rhum, Porto). Lors de la maturation, les composés contenus dans le distillat vont réagir avec le bois et des réactions chimiques vont prendre place.

Le mécanisme de la maturation est incomplètement compris, mais le rapport eau:ethanol (ou eau:alcool) joue un rôle important pour grand nombre de réactions chimiques connues. Dans ce cas, trop d'alcool réduit le taux d'hydrolyse  ("dégradation" ) des sucres du bois (p. ex., xylose) et de la production des tannins et des acides volatiles.

 

 

Figure 1: Effets du degré d'alcool (entry proof US) sur la formation des congénères après 6 ans de maturation. Source: G.H. Reazin, Am. J. Enol Vit, 1981, vol. 32, N° 4, p.283-289.

 

 

Figure 2: Effets du degré d'alcool sur la formation de différents sucres après 4 ans de maturation. (en bleu: 54.5% alcool, en rouge: 70.5%). D'après G.H. Reazin, Am. J. Enol Vit, 1981, vol. 32, N° 4, p.283-289.

 

Et alors ?

L'article de Reazin se concentre sur les effets du degré d'alcool au remplissage sur une période de 6 ans. A quelques exceptons comme le Glen Grant 5 ans ou le Macallan 7 ans pour l'Italie ou d'un Ardbeg Very Young, la durée moyenne de maturation pour un single malt est d'environ 10-16 ans. Comme indiqué ci-dessus, 63.5% semble légèrement en dessus du pourcentage optimal de 60%.  Il est à noté qu'avec le temps, le degré d'alcool diminue (la part des anges) sous un climat écossais. Je n'ai trouvé aucune référence sur le degré d'alcool au remplissage avant les années 1980, mais je ne serais pas surpris si ces 63.5% furent déterminés empiriquement avant le travail de Reazin. Réduire le degré à 60% ou moins augmenterait le taux des sucres et autres composés riche en carbone (p. ex. acides gras à chaîne courte, C3-5) pendant la maturation, mais augmenterait les coûts et le risque de voir des fûts réduits à moins de 40%. Ne pas réduire le distillat à 63.5% avant le remplissage des fûts résulte en une maturation plus longue, mais réduit la main d'œuvre et l'espace de stockage nécessaire. Pendant les dernières années de la distillerie Brora, pour des raisons de réduction des coûts, le distillat ne fut pas réduit (ou faiblement) avant le remplissage des fûts. Brora fut fermée en 1983 suite à la dépression des années 1980 (le fameux "whisky loch"). Diageo disposant d'un surplus de stocks, la compagnie décida de réduire le nombre de fûts en appliquant cette stratégie pour d'autres distilleries du groupe (p. ex. Port Ellen). Par conséquent, la fraîcheur des Brora après 20-30 ans de maturation est bien détectable et absente de fortes concentrations de tannins. La seule distillerie (à ma connaissance) qui ne réduise pas ces fûts à 63.5% est Bruichladdich, depuis 2001. Dans “Peat, Smoke, and Spirit” par A. Jefford, Duncan de Bruichladdich mentionne à l'auteur que "on ne peut pas de permettre de stocker de l'eau (…) et que les fûts risquent de finir en dessous (de 40%)". Cela correspond également à l'attitude de la distillerie de "laisser le produit intact".

 

Maturation est un long processus, partiellement compris et difficile à prédire. En conclusion, il semble que le remplissage des fûts à 63.5% semble être le meilleur compromis entre "qualité et vitesse de maturation" et considérations économiques (entreposage des fûts, manutention et gestion des stocks).

 

Slainthe

 

Dr P. Brossard ©Juin 2009